A genoux sur ma chaise parce que j’aimais prendre de la hauteur, mon assiette fumante devant moi, une fourchette dans une main, un couteau dans l’autre, j’étais prêt à attaquer mon dîner. Ma mère me regardait avec tendresse, mais elle n’arrivait pas à cacher sa nervosité. Pourquoi était-elle aussi angoissée ? Je n’en avais aucune idée, mais j’avais vite appris qu’il ne fallait pas trop poser de question si on ne voulait pas avoir le droit à un regard réprobateur. Et je détestais plus que tout ces regards-là. Grand-mère n’avait que ce regard lorsqu’elle nous regardait, papa, maman et moi. Comme si tout ce qui faisait que nous étions nous la dégoutait, l’exaspérait.
Ma mère semblait attendre quelqu’un. Sûrement Papa. Cela lui arrivait parfois d’être en retard pendant le mois, cela ne me semblait pas étrange, c’était devenu une des habitudes de la maison avec lesquelles on fait avec généralement, qui deviennent normales avec le temps. Mais Maman avait toujours du mal avec cette manie de mon père. Comme si cela posait un réel problème, comme si cela la dérangeait depuis toujours, et que de plus en plus elle avait envie d’y mettre fin. Sur le qui-vive pour une raison que j’ignorais, elle ne me prêtait que peu d’attention. Elle avait beau me sourire par moment, cela se voyait nettement qu’elle songeait à autre chose.
Je pris ma fourchette, et voyant que ma mère ne disait rien – d’habitude il fallait toujours attendre que tout le monde soit à table pour commencer mais apparemment cette fois-ci elle n’y voyait pas d’inconvénient – et avec un sourire radieux, je prenais une première boucher des mets qui se présentaient à moi. C’était délicieux. Elle avait toujours l’habitude de cuisiner quelque chose de plus bon que d’habitude quand mon père revenait d’un déplacement. Cela durait deux trois jours, puis il revenait, épuisé, et surtout en retard. Mais à chaque fois il faisait un tour dans ma chambre quand j’étais déjà au lit pour me dire bonne nuit.
J’espérais que cette fois-ci il viendrait plutôt pour que je puisse lui raconter ce qui m’était arrivé pendant son absence : j’étais tranquillement allongé dans l’herbe du petit jardin derrière la maison, quand un gros chat – un énorme chat, un chat obèse, bref – se jeta sur ma poitrine, j’ai eu peur mais avant que je ne fasse quoique ce soit, le chat était déjà de l’autre côté de la barrière qui protégeait le jardin. Maman était là aussi, lisant un livre au soleil. Elle avait tout vu. J’avais eu le droit à une exclamation de joie de sa part, alors que moi-même je réalisais ce qui c’était passé.
Oui, j’avais terriblement envie de lui dire que j’étais un sorcier, un vrai, qu’il pourrait ainsi être fier de moi. Que j’allais aller à Hogwarts comme lui et maman avant moi.
Mais il ne revenait toujours pas et mon assiette était terminée. D’habitude j’avais le droit de rester encore un peu, pour l’attendre. Mais cette fois-ci je n’en eus pas l’occasion. Ma mère me regarda avec insistance. Je ne comprenais pas ce regard, il était froid, inquiet, troublé. Il était tant de chose à la fois, que je me levais, posais un baiser sur sa joue et allais me coucher sans demander si je pouvais l’attendre.
❈ ❈ ❈
Maintenant je sais, maintenant j’ai compris. Tous ces retards, toute cette angoisse, tous ces trois jours par mois, toute cette haine venant de ma grand-mère, tout. Juste une conversation que je surpris juste le lendemain de ce fameux soir à attendre mon père qui n’était toujours pas encore revenu. Ma grand-mère était venue voir sa fille, peut-être inquiète, peut-être simplement pour enfoncer encore plus le couteau dans la plaie, pour parvenir à ses fins.
On m’avait certes dit d’aller jouer dans ma chambre, et j’y étais allé de bon cœur, parce que c’est comme cela qui faut être pour plaire. Je m’amusais jusqu’à ce que j’entende des éclats de voix venant d’une pièce plus loin dans la maison. Ce n’était que de la curiosité enfantine, car je n’étais pas vraiment curieux, j’avais juste envie de comprendre, pour une fois, juste comprendre.
Je collais mon oreille contre le mur, et j’entendais quelques mots, suffisamment pour suivre la conversation. Suffisamment pour commencer à trembler.
«
… Avec moi ! –
…. Mon fils ! … -
Ton … mari …. Un loup-garou ! Te rends-tu compte du danger ? –
Je sais … » Et elles continuaient, me décrivant sans le savoir tout ce que nous risquions à rester ici, à la porter de lui. Je fronçais les sourcils totalement perdu et effrayé. Etait-ce réellement possible que mon père soit ce monstre ? Toujours appuyé contre le mur, ma respiration se faisait de plus en plus saccadée alors que je saisissais tout ce que cela signifiait. N’était-il pas l’homme que j’avais toujours connu ? Ce père souriant ? Ma mère sortit précipitamment de la pièce et je sursautais, pris en flagrant délit. Elle regardait, essoufflée autant que moi, puis comme par instinct elle me prit dans ses bras, me serrant aussi fort qu’elle le pouvait. Troublé par son comportement, loin de me rassurer son étreinte accentua ma propre angoisse, mais je n’osais pas la repousser.
Le regard que ma grand-mère posait sur nous était pour une fois exempt de tout dégoût. Mais elle avait toujours cet air sévère qui ne semblait jamais la quitter. Cela faisait d’elle une femme effrayante. Cependant ce que j’avais entendu m’avait fait comprendre que je ne pouvais pas me fier à mon premier jugement, puisque même mon père n’était pas l’homme que je croyais. Plus j’y pensais et plus j’étais perturbé.
«
Mon bébé … Tu as tout entendu, n’est-ce pas ? Sache juste que … ce n’est pas sa faute, il n’a jamais demandé à être un … peu importe ce qu’il est, crois-moi, il ne nous aurait jamais fait du mal en pleine possession de ses moyens … Mais ta grand-mère a raison … C’est trop dangereux pour toi de rester ici, mon amour. Trop dangereux. Alors tu vas aller avec grand-maman, d’accord ? » Je levais mon regard vers elle, la suppliant implicitement de ne pas me laisser, m’abandonner à cette femme qui semblait si dure. «
Tu viens avec moi, hein ? Tu viens chez grand-maman avec moi. » Elle secoua la tête de gauche à droite. J’étais pétrifié dans ses bras. Tout changeait si brusquement.
❈ ❈ ❈
Je détestais le dimanche matin, l’heure du courrier surtout, car je savais déjà ce que j’allais recevoir. C’était comme ça depuis longtemps, depuis ma première année à Hogwarts à vrai dire, et cela n’allait pas changer de si tôt. J’avais même peur que cette petite tradition reste après ma sortie de l’école. Je me voyais continuer à toujours ouvrir cette lettre, m’attendant toujours au pire, crispant mes poings, ayant envie de vomir des insanités sur elle. Je me contrôlais du mieux que je pouvais à chaque fois, mais parfois j’avais accumulé tellement de rancœur que j’explosais violemment. En seconde année, je m’étais même effondré en pleure. Heureusement, cela n’était plus arrivé.
Je sentis une main se posait sur mon dos alors qu’un grand hibou se posait devant moi. Je regardais un de mes amis à côté de moi qui me fit un sourire encourageant. J’hochais la tête reconnaissant. J’ouvris la lettre avec fébrilité, et c’était toujours la même chose : une longue liste de reproche. Je grognais entre mes dents avant de poser la lettre sur la table et de continuer mon petit déjeuner, le regard dans le vague, essayant d’apaiser ma colère. « Alors la vieille peau a encore frappé ? » Je fronçais les sourcils avant de lui faire une grimace. J’avais du mal à accepter qu’on puisse lui donner ce nom même s’il lui allait bien. Elle avait réussi à ce que je la respecte quoi qu’elle fasse. «
Tu as abandonné ton projet pour la rendre chèvre ? » Un sourire en coin naquit sur mon visage. «
Je crois que lui envoyer une lettre d’une extrême vulgarité aurait été hautement jouissif, mais … » Soudain mon sourire disparut et je passais une sur mon visage. «
Ma mère est chez grand-maman ces jours-ci, et je n’ai vraiment pas envie que ma grand-mère se fasse un plaisir de lui montrer ce dont je suis capable. » Il me fit un sourire avant d’entamer une conversation sur un autre sujet, sachant que celui-là était beaucoup trop sensible pour que je puisse en parler bien longtemps.
Mais évidemment, nous ne pouvions que retomber dans un sujet sensible, à croire que cela allait me poursuivre toute la journée. Un dimanche en plus … Nous parlions de filles, comme tous garçons de notre âge j’imagine, mais j’étais toujours incroyablement nerveux quand venait ce genre de conversation. Je faisais mon possible pour paraître à l’aise, cachant ma gêne par des blagues atrocement stupides et effroyablement machistes.
«
Mais toi qui as toujours le mot gentil pour faire sourire une fille, je me suis toujours demandé pourquoi … -
Laisse moi deviner … Pourquoi je ne sors avec personne en ce moment ? Vu le fiasco que ça a été la dernière fois … -
Ouais, t’as raison. » Et il rit, et je ris avec lui. Parce que cela avait vraiment été un fiasco, un ridicule fiasco, et surtout parce que je sentais mon malaise disparaître par le rire. Parce que si ma dernière amourette avait été ratée, ce n’était pas la faute de la fille, non, de la mienne et de ma stupide attirance inavouable pour des silhouettes bien moins féminines.
J’étais du genre à renier le moindre de mes problèmes, malade quand je me retrouvais dans une situation inextricable, horrifié quand rien n’allait plus. Et c’est ce qui était en train de se passer : j’étais en train de découvrir quelque chose en moi qui n’aurait jamais du y être. Et j’y pensais nuit et jour, jusqu’à en devenir fou. Mais personne ne voyait rien. Je continuais à sourire, à être sarcastique, à garder toute ma rancœur pour moi, à garder tout en moi. Allais-je exploser ? Peut-être. Surtout si elle n’arrêtait pas de me harceler avec ses lettres.